L’embourgeoisement est-il une fatalité ?
Posted on September 22nd, 2013
Comment se fait-il que l’on s’embourgeoise aussi facilement, non seulement avec le temps, mais avec la parentalité ? Quand je dis « embourgeoisement », je ne parle pas d’une catégorie sociale mais d’un certain conservatisme qu’on refuse d’admettre mais bon… Première victime du fait (et Dieu m’est témoin que je ne pars pas de trop loin, socialement parlant), je le déplore pourtant et ce pour une raison majeure : l’embourgeoisement va généralement de pair avec une anesthésie de l’esprit critique, une résignation voire une acceptation franche des grandes lignes qui forment le cadre de notre société, et une confortation réciproque – au sein d’un groupe d’embourgeoisés – sur un ensemble de choix essentiellement guidés par l’envie de confort, le désir d’entre-soi, la tentation de briller, la peur de l’insécurité, bref une légère flemme intellectuelle qu’il est rassurant de retrouver chez l’autre.
Alors que l’on pense avoir dépassé les étapes d’apprentissage de la vie et se situer en pleine possession de sa destinée, fort de ses certitudes, il m’apparaît que ladite vie n’en vaut qu’à moitié le terme, l’autre moitié méritant davantage le substantif de retraite bien-pensante. Bien sûr, il y a les aléas de la vie, les séparations, les divorces, les déménagements, les décès, les changements de cap, les pétages de plombs. Mais finalement, est-ce que le retour à un bercail douillet, connu, chaleureux n’est pas la destination ultime que reprendront tôt ou tard ces parenthèses dont la traversée aura été tout autant un réapprentissage jouissif qu’un tâtonnement obscur et effrayant ? (une sorte de retour vers l’adolescence, quoi)…

Je m’interroge sur ce fait d’embourgeoisement sans prétention sociologique aucune, mais en constatant avec la plus grande innocence (et m’incluant dans l’échantillon) que la plupart de mes congénères bipèdes ayant procréé et se trouvant responsables de mini-eux (et ce plus que jamais à l’ère des réseaux sociaux) âgés de 0 à 17 ans évoluent progressivement vers des modes de vie que l’on aurait pu décrire chez leurs propres parents. Je sais, c’est dur. Mais on ne peut nier que vouloir être propriétaire de son appartement, posséder une voiture familiale/plus grande/grosse, ou encore une maison de campagne/Bretagne/montagne, tout en réduisant au maximum la prise de risques, cela procède certes d’un besoin de confort appréciable quand on a des enfants, mais aussi d’un appel statutaire qui se fait – inconsciemment – plus fort que jamais au moment où l’on ancre la construction de sa cellule familiale dans ce monde. J’avoue, je schématise un peu. Mais il y a de l’idée, non ?
La question que je me pose (bis repetitas) est donc : pourquoi reproduit-on si facilement les codes de cet embourgeoisement, que l’on a peut-être connu dès sa plus tendre enfance mais que l’on a tout aussi volontiers bravés, enjambés, reniés, calomniés ? Est-ce parce qu’à l’heure où il faut embrasser cette mission parentale d’éducation, de transmission d’une histoire familiale, de façonnage d’un être que l’on souhaiterait secrètement un peu semblable à soi-même en mieux, ces codes nous semblent tout à coup justes, enviables, exemplaires ? En partie, sans nul doute. Et pour les autres ? Par facilité, peut-être, c’est-à-dire par manque d’envie de penser. C’est que penser, ça prend du temps. Et le temps, on en n’a pas des masses (surtout qu’avec toutes ces tablettes et écrans, ça devient de moins en moins nécessaire et en plus, penser c’est long, solitaire et chiant).
Pourtant, je trouvais ça bien, moi, de refaire le monde… La reproduction sociale au XXIème siècle vue de l’intérieur, ça ferait un bon sujet d’études, non ?
“Pourquoi reproduit-on si facilement les codes de cet embourgeoisement ?”
Je suppose , comme vous le suggérez, par facilité.
Il est plus simple de rester au même endroit, et dans ce cas, souvent plus simple d’être propriétaire, etc.
Il y a 13 ans, lorsque je me suis mariée, nous avons assisté à une préparation au mariage. Nous étions une dizaine de futurs couples. L’organisateur nous avait demandé quel était notre objectif dans la vie. 90% ont répondu : être propriétaire. Ce fait m’étonne encore
Belle réflexion ,et surtout très juste .Une piste pour y échapper ( un peu) les petites transgressions quotidiennes ,comme écouter ACDC à fond la caisse en amenant les enfants à l école St. Joseph ! Ou les petits accrocs à un emploi du temps bien huilé . Mais au fait ,pour transgresser des valeurs ,ne faut il pas qu ‘elles soient fermement encrées en nous ? Alors transmettons ( on y échappera pas ) et surtout ,transgressons ( nos enfants le ferons beaucoup mieux … ) .
C’est quoi au juste être bourgeois ? Une condition sociale ? Non, je dirais plutôt un état d’esprit… Cela me rappelle une discussion avec l’une de mes tantes qui s’interrogeait là-dessus. Sans doute parce qu’on l’avait traitée de bourgeoise… fort justement d’ailleurs ! Mais pourquoi me paraît-elle l’exemple même de la bourgeoise, mariée à un médecin issu lui-même de la grande bourgeoisie toulousaine, mais qui ne paraît pas bourgeois dans sa façon d’être. Alors qu’elle, la petite infirmière a adopté tous les codes de la femme bourgeoise telle qu’on l’imagine : femme au foyer prenant grand soin d’un bel intérieur aseptisé, recevant en mettant les petits plats dans les grands, faisant très attention à sa personne… Etre bourgeois pour moi, c’est un état d’esprit, une attitude de tous les jours. ce n’est pas être propriétaire ou accepter le monde sans se révolter. D’ailleurs, toutes les grandes révolutions ont été menées par la bourgeoisie. Pour ma part, je ne me sens pas du tout bourgeoise. Pourtant, j’ai réussi socialement, je suis propriétaire mais je me sens capable de repartir à zéro, de tout remettre en cause… Peut-être une piste de réflexion ?
Oui, je suis d’accord. On parle bien de la même chose : ce n’est pas une catégorie sociale, c’est un état d’esprit teinté de conservatisme (bien que je considère que tout conservatisme ne soit pas négatif, au contraire), d’un conservatisme tendant vers la bien-pensance, vers une certaine intolérance à la prise de risques pour soi et à la remise en question. Ces dernières propensions ne peuvent faire l’impasse de l’envie de penser ! Alors peut-on dire que l’esprit d’entreprise véritable ne peut s’épanouir chez le bourgeois (au sens limitatif du terme) ?