De la reproduction des stéréotypes, ici et ailleurs
Posted on March 26th, 2014
Ceux qui me suivent un peu savent que je m’interroge sur ce qui fonde la notion d’identité, le sentiment d’appartenance, moi qui vis au cœur battant de l’archipel de la Guadeloupe, sur une terre d’adoption et d’élection depuis treize ans. Vivre un décalage culturel, social, géographique, incite à la remise en question, change l’ordre d’un univers construit, fragilise et renforce à la fois l’édifice personnel et offre une multitude d’objets de contemplation sur la vision que nous avons les uns des autres, et, juste derrière, sur celle que nous avons de nous-mêmes.
Bien (trop) souvent nous parviennent des idées reçues véhiculées par des personnes (souvent ignorantes) sur telle culture, telle histoire, tel peuple. Ceci est un fait, “a fact of life”, comme on dit en Anglais, qui durera aussi longtemps qu’il y aura des imbéciles sur terre. Autant dire qu’on ne peut pas grand chose pour éradiquer ce type de circulation qui s’apparente à la grippe : elle tue parfois, vous rend malade, change de visage régulièrement, mais tout ce qui nous est permis d’espérer, c’est de renforcer nos défenses et de l’ignorer. Les préjugés sur les Antilles et sur les Antillais, dupliqués et déclinés au fil du temps et de l’espace, souvent insidieusement, on les connaît, et il faut tenter, autant que possible, de les déraciner comme les mauvaises herbes qu’ils sont… En revanche, il y a également, et on la sous-estime largement, une dimension endogène à la reproduction des stéréotypes. C’est bien cette dimension que je souhaite évoquer, car celle-là, elle dépend du regard que l’on porte sur soi, sur son frère, sur sa famille, sur son voisin. Avez-vous remarqué que chaque individu s’accepte plus ou moins comme faisant partie d’un peuple ? Et que malheureusement, cette inclusion du je dans le nous légitime des comportements passéistes, absurdes, injustes, décalés, délétères ? On brandit la tradition, pour dire que “chez nous, c’est comme ça que ça se passe…”, que “ça a toujours été comme ça et ce n’est pas maintenant que ça va changer”, que “dans mon pays, les gens sont comme ceci ou comme cela, c’est normal chez nous”.
Mais parfois, il y a des exemples trop criants d’incohérence pour ne pas les mentionner, car leur portée dépasse de loin l’anecdote. Quand j’ai entendu le responsable d’une grande structure para-scolaire aux Antilles, vieux de la vieille, marronnier des conseils de discipline, rompu aux réunions le dos au tableau noir, aussi à l’aise avec les enseignants qu’avec les parents d’élèves, me dire sûr de lui, le verbe haut, que le parent qui s’était amené l’autre jour à la sortie du lycée pour flanquer une bonne raclée à son fils devant tout le monde – évènement qui n’a rien d’exceptionnel -, n’avait pas perdu le contrôle mais avait tout simplement bien fait, j’ai protesté : que voulez-vous dire ? Depuis quand l’humiliation apporte-t-elle quoi que ce soit ? C’est à ce moment que plusieurs autres parents m’ont assuré, d’une même voix convaincue, que “c’est dans notre culture, une bonne rouste en public et l’enfant rentre dans le droit chemin”, “on me l’a fait et je n’ai pas eu envie qu’on me le refasse”, “ici, il y a des lois qui ne peuvent pas s’appliquer”, “ceux qui ne reçoivent pas de coups, on les retrouve dans les faits divers”…
Ces propos, que l’on aurait certes pu entendre au sein de maintes communautés en ce monde, viennent, rappelons-le, de parents sincèrement concernés par le bien-être de leurs enfants, de parents qui tentent de s’impliquer, de donner de leur temps. C’est donc qu’a fortiori, cette idée reçue : “chez nous c’est pas pareil, y a qu’avec les coups qu’on peut se faire respecter”, est validée et reproduite, de façon tacite, génération après génération, et d’abord au creux du cercle scolaire, dès le plus jeune âge. C’est là qu’intervient la notion de transmission : est-ce cette conviction que je veux transmettre à mon enfant ? Cette question-là, dans l’échange que je viens de relater, nous n’avons pas eu le temps de l’aborder, mais elle est cruciale car de sa réponse dépend la survie d’un stéréotype endogène qui fait encore très mal.
Je lis ton article et je m’interroge aussi sur la notion d’identité, néanmoins pour toi ou se trouve la frontière entre ce que “l’ancien” transmets (éducation, tradition,culture, fondement sociaux) et le stéréotype, ce que moi j’appelerai une “manière général de vivre” ?
Il me semble que ce sont deux choses totalement différentes : il y a la culture objective qui est le produit de l’histoire, des influences, d’un patrimoine, d’un héritage, et il y a la façon dont on se perçoit en tant que peuple, ce qui au lieu de fournir un motif d’élévation, de cohésion vers un but plus élevé, permet trop souvent de s’affranchir d’une morale personnelle au motif que “c’est dans notre culture, notre société est régie par ce type de comportements”, par exemple “puisque les Français sont sales, pourquoi m’embêter à laisser les toilettes propres, de toutes façons c’est dans les moeurs”, ou bien “les Anglais sont des buveurs de bière, chez eux c’est normal de commencer à boire à 12 ans”, “chez nous, on a la main lourde sur nos femmes, c’est comme ça qu’on se comprend”…
je suis en parti d’accord avec toi, néanmoins, pour moi le stéréotype c’est identitaire “comportemental”, figé puisque issu du passé et perpétué dans le présent. c’est des repères pour nombre de gens ayant besoin de conformer au groupe majoritaire, afin de ne pas se sentir exclu, voir une manière de pas se faire remarquer et d’être accepter par les autres. pour exemple, je suis marseillais, je n’ai pas l’accent et au moins une fois par jour on me dit :” vous marseillais? Pourtant vous avez pas l’accent… Vous êtes pas un vrai marseillais…” si j’avais l’accent on mettrai même pas en doute le fait que je vienne de marseille, voir si je ne l’étais pas mais avait quand même l’accent personne ne mettrai pas parole en doute… pour ton sujet premier, bien que ce soit plus grave qu’un accent du sud, pour moi c’est pareil, est -ce que le parent ne se dit pas ” si je mets pas une rouste à mon fils devant tout le monde, est-ce -qu’ils vont pas se dire que je ne me fais pas respecter?”, renvoyer l’image à l’autre qu’on est bien comme lui puisque on nous a tous éduqué comme ça, et donc qu’on fait bien parti du troupeau… on vit tous de stéréotype, on les cultive, les entretiens, les propage… on s’y réfère… Parce que nombre d’entre nous, perdu, sans identité propre on besoin de s’y inspirer pour exister, pourquoi? Parce que souvent dans ce desert intellectuel, il n’y a rien d’autre…
Plus que des repères, ce genre de stéréotype tel que reproduit par les membres d’une communauté est surtout le chemin de la facilité. Mais cette évidence du chemin, qui évite l’effort de la remise en question sous couvert de la tradition, ne veut pas dire qu’il s’agit de l’unique chemin. Heureusement, tout le monde ne vient pas battre son enfant comme plâtre à la sortie de l’école aux Antilles, cela prouve que tout le monde n’approuve pas cette idée qu’une fois que l’enfant sera humilié à la juste hauteur, son comportement changera en bien. Tout le monde a la faculté de voir la possibilité de ne pas reproduire le stéréotype auquel ils se réfèrent plus par paresse ou manque d’imaginaton que par conviction véritable. L’abdication de la pensée/responsabilité individuelle au bénéfice de celle du groupe ne mène qu’à des comportements destructeurs. Donc en soulignant cet exemple concret, sans verser dans la caricature, m’a semblé un biais pour introduire la réflexion sur ces stéréotypes que l’on véhicule et reproduit sans réfléchir et qui mènent à tout sauf à l’intérêt général.